Le gratin du secteur de l’immobilier s’est récemment réuni à Bruxelles pour Realty 2022. Lors du sommet annuel de l’immobilier qui s’est tenu dans le cadre somptueux de la Gare Maritime à Tour & Taxis, plus de 2 000 professionnels de la construction ont profité d’un vaste programme de conférences, d’échanges et d’innovations. Arcadis était également présent au salon pour aborder la question de la montée en flèche des coûts énergétiques lors d’un débat animé avec certains acteurs clés du secteur. Bert Lemmens, Solution Lead Sustainable Buildings Design chez Arcadis, ne voit qu’un seul moyen de sortir de la crise énergétique actuelle. « Il appartient à chaque propriétaire privé, chaque entreprise et chaque pouvoir public de travailler à un plan global pour atteindre la neutralité climatique de notre patrimoine bâti. »
Johan Albrecht, professeur d’économie à l’UGent, a donné le coup d’envoi du débat sur la flambée des prix de l’énergie à Realty 2022. « La hausse exponentielle du prix du gaz en Europe au cours des six derniers mois est vraiment sans précédent », a-t-il directement affirmé. « Aujourd’hui, le prix repart à la baisse, mais il est difficile de prévoir dans quelle mesure cela va se poursuivre. Dans le même temps, la production de gaz en Europe a diminué ces dernières années. Il est toutefois important de noter que, dans notre pays, nous ne sommes dépendants du gaz russe qu’à hauteur de 6,7 %. Ce n’est pas si mal, mais il n’est pas évident pour la Norvège, par exemple, un pays européen qui produit encore du gaz, de combler cet écart à court terme. »
Pour l’économiste, cela ne fait aucun doute : « Le seul moyen de passer cet hiver est de réduire la demande de gaz. Aujourd’hui, 62 % de la consommation de gaz dans nos foyers est consacrée au chauffage, contre 15 % à l’eau chaude pour le bain et la douche. Baisser le thermostat et prendre des douches plus courtes peut ainsi effectivement réduire la facture énergétique. Mais même si la demande diminue, des mesures de compensation sont nécessaires de la part des pouvoirs publics pour venir en aide aux familles et aux entreprises. »
Consommer moins implique également de rendre nos bâtiments plus efficaces sur le plan énergétique, ce qui passe par la rénovation énergétique, explique le professeur. La seule question est : de quelle manière ? « Le gouvernement flamand mène depuis 15 ans une politique de rénovation, mais son impact sur le marché de la rénovation est limité. Le marché est resté assez stable. Ce n’est que depuis l’année dernière que nous avons vu le marché se développer », a précisé Johan Albrecht.
Peter De Durpel, COO de Nextensa et hôte du salon Realty 2022 à la Gare Maritime, ne pouvait qu’approuver ce constat. « Au lieu de subventionner des rénovations individuelles, nous pouvons investir bien mieux au niveau du quartier », a-t-il expliqué. « Et tant que nous dépendrons des combustibles fossiles, nous resterons vulnérables. La seule façon d’aller de l’avant est de mettre fin le plus rapidement possible à notre dépendance au gaz. »
Mesurer, c’est savoir
Mais comment faire ? La réponse apportée par Bert Lemmens d’Arcadis à cette question était sans équivoque. « Aujourd’hui, je suis submergé de questions de la part de clients, mais aussi d’amis et de connaissances, sur la manière d’économiser l’énergie. Quand des clients me posent cette question, ma réponse est invariablement la même : il faut commencer par mesurer. Tant qu’on ne mesure pas sa consommation, on ne peut pas économiser l’énergie, du moins pas de manière efficace. À court terme, la sortie de la crise énergétique passe par des mesures dites sans regret : il s’agit d’identifier sa consommation et d’investir dans les énergies renouvelables. Aux entreprises, je recommande de saisir dès maintenant l’occasion de passer à un parc immobilier neutre sur le plan climatique. Vous avez des plans de construction ? Vous devez encore rénover un toit ? Faites-le dès maintenant et protégez votre parc immobilier contre le changement climatique. »
Mesurer, c’est savoir. C’est également l’avis de Laurence Gacoin de Cordeel Group. « Nous avons identifié la consommation de notre site de Tamise et, en réduisant les pics de consommation, nous avons réussi à faire baisser de 10 % notre facture énergétique. De plus, nous misons sur les panneaux photovoltaïques et le stockage sur batterie pour profiter aussi de notre énergie solaire pendant les mois d’hiver. »
Pour Harold Fallon du bureau d’architecture AgwA, il s’agit également de remettre en question nos exigences actuelles en matière de confort. « On peut évidemment mieux isoler et baisser le thermostat de quelques degrés, mais ne vaut-il pas mieux se demander si chaque zone d’un bâtiment ou d’une maison doit être chauffée en permanence ? C’est une autre façon d’économiser l’énergie. »
Investir dans les réseaux de chaleur
Dans ce domaine, Peter De Durpel voit un grand intérêt à l’amélioration des réseaux entre les bâtiments. « Nous souhaitons vivement partager le surplus d’énergie que nous produisons à Tour & Taxis avec un projet de logements abordables à proximité, mais c’est impossible aujourd’hui en raison de toutes sortes d’obstacles dans la législation. Nous demandons donc aux pouvoirs publics de supprimer ces écueils pour donner à ces communautés énergétiques plus de libertés et donc plus d’opportunités. D’autres pays européens sont déjà bien plus avancés dans cette évolution. »
Dans le contexte belge, c’est toutefois plus facile à dire qu’à faire, a estimé Bert Lemmens. « Les réseaux de chaleur sont assurément la solution dans un contexte urbain, mais notre pays se caractérise par ses nombreuses PME et ses maisons individuelles dispersées sur le territoire. Heureusement, nous constatons une tendance positive vers davantage de projets collectifs, ce qui facilite le déploiement de réseaux. Il s’agit d’utiliser les ressources disponibles de la bonne manière, car le défi à relever est de taille. »
Johan Albrecht voit également un rôle important pour les réseaux de chaleur dans un avenir proche. « L’exploitation de la chaleur résiduelle des sites industriels dans un contexte urbain présente encore un grand potentiel. Nous voulons tous avoir nos propres panneaux solaires et notre pompe à chaleur, mais la chaleur peut aussi être achetée comme un service et cela nécessite un changement de mentalité. La densification fait certainement aussi partie de la solution à cet égard. »
Peter De Durpel a abondé dans ce sens : « Les pouvoirs publics mettent actuellement l’accent sur la nécessité de consommer moins, mais nous devons profiter de cet élan pour investir davantage et réunir les acteurs de l’industrie et de l’immobilier pour déployer ces réseaux de chaleur », a-t-il soutenu.
Le rôle des responsables politiques
« Les bonnes mesures publiques sont les catalyseurs de la transition énergétique », a ajouté Bert Lemmens. « C’est pourquoi il est grand temps que la réglementation s’adapte à la nouvelle réalité. Par exemple, pourquoi est-il encore aujourd’hui difficile de revendre à ses voisins l’énergie qu’on produit avec ses panneaux solaires ? À cet égard, il est préférable de subventionner la capacité excédentaire à fournir de l’énergie à des tiers qu’une batterie individuelle. Les mesures de subvention devraient viser à rendre la production d’énergie renouvelable possible et économiquement viable. »
Pour conclure le débat, chaque intervenant s’est glissé brièvement dans la peau d’un décideur politique. On a ainsi demandé à Bert Lemmens ce qu’il ferait s’il était le Premier ministre Alexander De Croo. Sa réponse a été très claire : « Ce qui me manque aujourd’hui, c’est un plan global sur la manière dont nous pouvons, en tant que société, atteindre nos objectifs climatiques nationaux. Une feuille de route qui fixe les grandes lignes de la manière dont nous allons relever les énormes défis qui nous attendent. Ce plan doit adopter une approche holistique. Baisser le thermostat de quelques degrés ne suffira pas. Il est urgent d’élaborer un plan d’action global, faute de quoi nous ne serons jamais en mesure d’opérer ce virage de manière rentable. »